SHORT INTRODUCTION IN ENGLISH:
In 1792 France declared war against the Kingdom of Sardinia.
This kingdom, ruled by the dynasty of Savoy, had been an unification of four major countries;
Principality of Piedmont, County of Nice, Duchy of Savoie and Kingdom of Sardinia.
With about 70.000 men, the sabaudian (sabaudian, from the name Savoy) army was the most
powerful state in the Italian Peninsula. Modelled on the prussian patterns, this force had to
face many problems against the French. Infantry tactics were outdated, artillery was only an
old improved Valliere system and, worst of all, the kingdom was strategically alone.
The house of Savoy was in a sort of “cold war” against the Austrian Empire, since the end of the
War of Austrian Succession. The strategic sabaudian goal was the control of the city of Milan,
under Austrian rule. It was no possible to accept an alliance with Britain during the Seven Years'
War against Vienna, since the alliance beetween Austria and France. But King Victor Amadeus
III decided to accept, around 1770s a secret alliance with France (the so called “Family Pact”)
against Austrian Empire. Since then the army was developed for only one reason; a war
against the Austrians with France like ally.
Unfortunately in 1789 began the French Revolution, it was a surprise for the court of
Turin. In 1792 the ex-ally, now a republic, moved to war against the Kingdom of Sardinia.
Victor Amadeus III had to accept an austrian commander at the head of his army.
The army had to create a new way to fight on the difficult terrain of the western Alps.
In 1792 there were some small special units, the chasseurs companies,
that proved to be well suitable for a fight in mountainous theatre of war. (See artcle below)
The war against France was called the Campaigne of the Alps (1792-1796)
The sabaudian troops won the battle of Authion (7-12 June 1793), defeating the French
uder General Brunet, and to repel an amphibious attack against Cagliari in Sardinia.
These victories gave the possibility to launch two offensives in Provence and in Savoy during
1793, and to resist on the Alps until 1795.
In 1796 Bonaparte broke through the piedmontese front and compelled Victor Amadeus
III to sign an armistice in Cherasco (28 april 1796).
Note. The official language of the Kingdom of Sardinia was French.
With the exception of Sardinia, in Savoy many people spoke in French.
SOMMAIRE
1. LA FORMATION DES COMPAGNIES DE CHASSEURS
- - - - - LES MILICES VAUDOISES
- - - - - UNE PREMIERE EXPERIENCE : LA LEGION DES TROUPES LEGERES
- - - - - VICTOR AMEDEE III ET LA MISE SUR PIED DES COMPAGNIES DE CHASSEURS
2. LES COMPAGNIES DE CHASSEURS DES REGIMENTS D'INFANTERIE D'ORDONNANCE NATIONALE :
ORGANISATION, EFFECTIFS, RECRUTEMENT, ENTRAINEMENT
- - - - - ORGANISATION ET EFFECTIFS DES COMPAGNIES
- - - - - RECRUTEMENT ET ENTRAINEMENT DES CADRES ET DES SOLDATS
3. L'EQUIPEMENT
- - - - - LA HACHE
- - - - - LA SABRE
- - - - - ARMES A FEU : POURQUOI ADOPTA T'ON LE FUSIL Mle 1782 PLUTOT QUE DES CARABINES A CANON RAYÉ
4. LA TACTIQUE
- - - - - DE 1786 A 1792
- - - - - LA GUERRE DES ALPES ET LES NOUVEAUX SCENARI OPERATIONNELS
- - - - - DE 1794 A 1795 : LES CHASSEURS COMME TROUPE D'ASSAUT
- - - - - LE REGIMENT DE CHASSEURS
5. L'ARMEE SARDE DE VICTOR AMÉDÉE III ETAIT-ELLE PLUTOT CONÇUE POUR UNE
GUERRE CONTRE L'EMPIRE, DANS LA PLAINE PADANE, QUE CONTRE LA FRANCE, DANS LES ALPES, ?
6. REMERCIEMENTS
7. ANNEXES
- - - - - Jean Baptiste ROUZIER
- - - - - Gabriel PICTET
- - - - - Luigi Leonardo COLLI RICCI
- - - - - Marquis de FELIZZANO
8. BIBLIOGRAPHIE
LES MILICES VAUDOISES.
A la fin de la guerre de succession d'Espagne, les frontières occidentales du Royaume de
Sardaigne coïncidaient avec la ligne alpine de partage des eaux.
Mais si l'un des objectifs stratégiques de Victor Amédée II était de la sorte atteint,
c'est-à-dire l'élimination des enclaves ou têtes de pont françaises "de ce côté-ci des
Alpes", un débat s'ouvrait par ailleurs à propos de la manière de défendre les nouvelles frontières.
Un réseau de nouvelles forteresses fut érigé aux verrous des principales percées valléennes,
procurant d'excellentes bases logistiques aux forces qui auraient du agir dans ce complexe et
difficile théâtre d'opérations. Restait toutefois à déterminer comment mener efficacement une
bataille dans les Alpes.
L'armée sarde était familiarisée avec le combat en pays montagneux : depuis le XVIIème siècle,
elle s'était confrontée aux troupes du Royaume de France en Savoie, dans les vallées de Suse,
du Chisone et de la Varaita, accumulant une série d'expériences pratiques qui ne furent jamais
oubliées, spécialement quant au choix du matériel d'artillerie et de l'armement individuel.
Dès 1685, par exemple, les régiments du Duc de Savoie avaient abandonné la pique pour adopter
intégralement le mousquet : les opérations de contre guérilla conduites contre les communautés
vaudoises du Val Luserna avaient démontré l'inutilité pratique des longues lances,
inutilisables de fait sur les sentiers étroits et dans les fourrés épais.
De manière identique, s'agissant du matériel d'artillerie, les arsenaux piémontais
développèrent avec un soin particulier des pièces de petit calibre transportables même à
une altitude élevée, ou jusqu'à des positions fortifiées médiocrement desservies en
itinéraires praticables. [1]
Les campagnes alpines qui suivirent la bataille de Turin (7 septembre 1706) avaient mis en
évidence la capacité de l'Infanterie piémontaise à opérer efficacement sur le front alpin,
comme pendant l'offensive parfaitement organisée de 1708, ou encore lors de la bataille du
Grand vallon, livrée dans la vallée de Suse le 16 septembre 1711, à plus de 2.400 mètres
d'altitude.
A l'occasion de ces opérations, l'emploi de la Milice Vaudoise en tant qu'Infanterie légère -
affranchie des tactiques linéaires des unités régulières - s'était révélé des plus
efficaces.
Les vaudois, réconciliés avec la Couronne, avaient donné beaucoup de fil à retordre dans
le Val Chisone aux forces d'occupation du Duc de la Feuillade, dès 1704, contraignant ses
forces à s'enfermer dans de complexes camps retranchés [2] ou à se retirer dans les fonds
de vallée, et en les empêchant d'occuper de manière stable les vallées de la Germanasque
et de Luserna, futur sanctuaire des faibles forces Ducales de Victor Amédée II après la
sortie de Turin assiégée. Les miliciens attaquaient les colonnes de ravitaillement, les
troupes isolées et fournissaient d'excellents résultats dans la reconnaissance ou l'éclairage.
Les bandes vaudoises, constituées en général d'une cinquantaine d'hommes, étaient extrêmement
bien organisées. Elles prenaient le nom du Capitaine qui les commandait et avaient souvent
dans leur effectif un Capitaine en second, un Lieutenant, un Enseigne, des Sergents, des
Caporaux, des tambours et de simples soldats, à l'instar des unités d'Infanterie régulière. [3]
Tant que l'adversaire principal était le Royaume de France, il semble qu'en Piémont le
concept de troupe légère ait coïncidé avec l'idée de troupe de montagne et, par voie de
conséquence, avec la Milice Vaudoise.
Victor Amédée II, à l'exception de la courte guerre de 1718 livrée contre l'Espagne en Sicile,
n'eut plus à faire combattre son armée. Son fils Charles Emmanuel III prit part à la guerre
de succession de Pologne (1733-1735) mais, menant dans la plaine padane une guerre offensive
au-delà des frontières du Royaume, il décida de ne pas lever les Milices, à commencer par
les vaudoises.
Il en fut tout différemment pendant la guerre de succession d'Autriche (1741-1748), au cours
de laquelle les Milices furent activement mises en œuvre. Ce type de troupe démontra son
indéniable intérêt, en particulier pendant la campagne de 1744, alors que l'armée du Prince
de Conti assiégeait Cuneo : les forces irrégulières sardes surent intercepter les convois
français et les détruire, incendier les hôpitaux, les dépôts, les fourrages, anéantir les
postes de garde isolés, et compliquèrent gravement la logistique de l'armée Franco-Espagnole
impliquée dans un siège difficile.
Dans les Alpes, de manière identique, un corps constitué d'environ 2.000 miliciens vaudois
commandés par le Capitaine Jean-Baptiste Rouzier [4] se distingua dans une série d'incursions
dans la profondeur du territoire ennemi. Cet Officier et ses hommes, en partie armés de
carabines rayées [5], fournirent à l'armée sarde une excellente troupe légère, notamment pendant
les campagnes de 1743, 1744, 1745 et 1747.
Toutefois, en dépit de ces bonnes prestations, la Milice présentait de nombreuses carences
en tant que force combattante rattachée à l'Armée :
La guerre de succession d'Autriche démontra clairement qu'il fallait disposer sur le champ de bataille d'un corps d'Infanterie légère parfaitement encadré au sein des troupes de lignes, discipliné comme elles, en mesure d'intervenir rapidement et en parfaite coordination avec les autres forces engagées. Témoin de la bataille de Bassignana, événement qui influença particulièrement les développements ultérieurs de l'armée sarde, le Prince de Piémont Victor Amédée n'oublia pas cette lacune tactique dans ce qui devait être plus tard "son" armée.
[1] Avant 1702, François Hamonet, "Premier fondeur" à Tours, avait réalisé des "pièces
courtes disjointes" aux calibres de 12 et 18 livres, avec un tube constitué de deux sections
réunies par un système de clavettes en fer. Ce projet fut repris ensuite en 1744 par
l'Ingénieur piémontais Ignazio Bertola pour réaliser ses "canons démontables"
(Sterrantino, 1993, p. 246).
[2] Le plus important de ces complexes fortifiés fut le camp retranché de Laz Ará, établi
sur le col qui fait communiquer une vallée secondaire du Val Chisone, le vallon de Pramollo,
avec la vallée de la Germanasque, un des sanctuaires de la guérilla vaudoise.
Ces fortifications ne furent pas abattues ultérieurement, comme d'ordinaire, et ce camp
dit "du Duc de la Feuillade" subsiste intégralement, rare exemple de fortification de
campagne du début du XVIIIème siècle (Ponzio, 2003, pp. 93-151).
[3] Pour une description des compagnies des Milices Vaudoises pendant la guerre de
succession d'Espagne, voir ASTO, "Cour", Materie Militari, Imprese, Mazzo 10, Etat des
Compagnies Vaudoises du 17 avril 1705.
[4] Pour une biographie du Cne Jean-Baptiste Rouzier, voir en annexe.
[5] L'Arsenal de Turin fournit, tout spécialement pendant la campagne de 1744, une quantité
significative d'armes rayées aux milices vaudoises (ASTO, "Sections réunies", Azienda
Generale d'Artiglieria, Regi Biglietti e Dispacci, 3, 1730-1746, pp. 179, 186, 188, 198, 206,
208).
[6] D. Minutoli, Relation des Campagnes faites par S.M. et par ses Généraux avec des Corps
Séparés dans les années 1742 et 1748, BRT, Ms. Mil. 111, Vol. I, p. 214.
[7] Composée de deux bataillons du Rgt Piémont et des 1er et 2ème bataillons du Rgt
Guibert.
[8] Alexandre Guibert de Sayssac (1677-1746), s'était déjà distingué à la bataille de
Pietralunga les 7 et 8 octobre 1743 dans la défense de la ligne Mt Pietralunga - Pte de la
Battagliola - Pte del Cavallo. A la tête de son régiment, le 27 septembre 1745, sur les
hauteurs de Montecastello entre Bassignana et Alessandria, tandis qu'il tenait le centre
de la ligne Piémontaise, il fut atteint par un coup de fusil au fémur, qui lui brisa la
jambe. Incapable de marcher, il fut fait prisonnier. La blessure était plutôt grave, à
tel point que l'officier Savoisien fut peu de temps après libéré sur parole. Il mourut
l'année suivante à Turin des suites de sa blessure (Cerino Badone, 1998, pp. 33-51).
UNE PREMIERE EXPERIENCE :
LA LEGION DES TROUPES LEGERES
En 1773, Victor Amédée III devenait Roi de Sardaigne. Non oublieux de ce qu'il avait vu
27 ans auparavant à Bassignana, le Roi chargea le Lieutenant-Colonel du régiment Saluces,
Gabriel Pictet, de lever une Légion des Troupes Légères. Il s'agissait d'une expérimentation :
quoique conçue comme un corps militaire destiné à agir en tant que troupe légère,
c'est-à-dire affranchi des rigides évolutions de l'Infanterie de ligne, c'était en réalité
une véritable garde-frontière destinée à mettre un frein à la plaie de la contrebande.
De fait, la nécessité en était bien réelle : depuis ses bases en Savoie, entre le 2 janvier
et le 26 décembre 1754, le célèbre hors-la-loi Louis Mandrin et ses 77 compagnons ne commirent
pas moins de six véritables "campagnes" en territoire français, en Franche-Comté, Bourgogne,
Auvergne, Forez, Velay et Rouergue, sans que les troupes sardes pussent (ou voulussent)
l'arrêter. Mandrin fut finalement arrêté en territoire savoyard le 11 mai 1755 après que
les forces françaises eussent franchi la frontière, violant la souveraineté du Royaume de
Sardaigne sans complications excessives.
Sinon en raison de l'humiliation subie, il convenait au moins de porter remède aux allées
et venues des contrebandiers, hors-la-loi et déserteurs qui vivaient en tirant parti des
mailles lâches du contrôle frontalier. Pendant le règne de Charles-Emmanuel III,
périodiquement, on envoyait des détachements militaires, notamment des grenadiers,
pour contrôler les postes frontière et éliminer les hors-la-loi de zones particulièrement
sensibles, telles que la Savoie ou les confins de la République de Genève, mais on ne retint
pas l'idée de créer un corps adapté pour lutter contre la plaie de la contrebande.
Le 5 octobre 1774, Gabriel Pictet fut officiellement chargé d'organiser la Légion des
Troupes Légères. Promu Colonel de la Légion dès le 20 octobre de la même année, Pictet
constitua cette Légion en appliquant des critères de sélection qui furent retenus par
la suite pour la mise sur pied des compagnies de chasseurs. Il choisit parmi les Officiers
ceux qui étaient les mieux préparés militairement et culturellement, qui sillonnèrent ensuite
les provinces du Royaume à la recherche de la ressource humaine adéquate. Les Sous-officiers
et les soldats devaient savoir lire, écrire, compter, être forts, et en même temps agiles et
résistants à la fatigue.
Qu'il n'ait pas été aisé de recruter les soldats réunissant de telles qualités physiques et
humaines ressort clairement de ce que la 1ère compagnie ne fut passée en revue que le 7 mai
1776, sur la place d'armes de Casale. Douze jours plus tard, le 19 mai, la 2ème compagnie
était formée dans les quartiers de la citadelle de Turin. Le 25 décembre 1776, la Légion des
Troupes Légères était constituée, forte de deux bataillons de 4 compagnies chacun. Satisfait
du travail entrepris jusque là, Victor Amédée III nommait Gabriel Pictet Brigadier Général.
Le décret royal du 20 avril 1779 porta à douze les compagnies du Corps, outre la mise sur pied
à Voghera d'une compagnie de réserve pour le recrutement et l'instruction des recrues. Mais
il faut souligner que l'on considérait alors la Légion des Troupes Légères plutôt comme une
force de police que comme une force militaire à proprement parler ; le Décret Royal du 19
juillet 1781 vint dissoudre les bataillons tandis que les compagnies voyaient confirmer leur
indépendance, à telle fin qu'elles puissent exercer dans les meilleures conditions leurs
fonctions de surveillance de la frontière et de police fiscale.
Chaque compagnie était formée d'un Capitaine, un Capitaine-Lieutenant, un Lieutenant, un
Sous-lieutenant effectif et un Sous-lieutenant surnuméraire [9], un Sergent de compagnie,
trois Sergents d'escouade, un Sergent surnuméraire, deux caporaux d'escouade, trois premiers
Caporaux de chambrée, trois seconds Caporaux de chambrée, six Appointés, un Cadet[10],
un Volontaire, deux Tambours [11], un Fifre [12], un vivandier, un infirmier, 73 soldats.
Toutefois, par le décret royal du 22 juin 1786, la Légion fut réorganisée en tant que brigade,
forte de 4 bataillons à 4 compagnies de fusiliers chacun, outre deux compagnies de grenadiers
et une de chasseurs, plus une compagnie de réserve [13]. Depuis 1776 il était également prévu de
lever un détachement à cheval, en recourant à du personnel et à des montures du régiment
Dragons de Sardaigne.
Après de multiples renvois et retards, en août 1792, ce projet était finalement repris et
en partie actualisé, pour être à nouveau suspendu au commencement de la guerre contre la
France en septembre de cette année. Les faibles détachements organisés jusque là furent
employés en tant qu'estafettes et comme éléments de reconnaissance.
[9] Présent seulement dans la 12ème compagnie.
[10] Présent dans les 1ère, 2ème et 3ème compagnies.
[11] Trois dans les 5ème, 6ème, 9ème, 10ème et 11ème compagnies.
[12] Le fifre n'était présent que dans les 4ème, 5ème, 6ème et 7ème compagnies.
[13] Le 7 avril 1795, la Légion fut divisée en deux régiments, les 1er et 2ème Régiments de la Légion des Troupes Légères, chacun formé de deux bataillons à cinq compagnies. Voir en annexe la biographie de Gabriel Pictet.
VICTOR AMEDEE III ET LA MISE SUR PIED
DES COMPAGNIES DE CHASSEURS
La Légion des Troupes Légères, créée comme un corps d'Infanterie légère,
fut détournée dès sa création vers des missions fiscales et de garde aux frontières.
Il s'agissait sans aucun doute d'une nécessité affirmée qu'il n'était pas possible de
remettre à plus tard, et la Légion assuma ces tâches avec bonheur.
Cependant, le problème se posait toujours de fournir aux bataillons d'Infanterie
de ligne un écran d'Infanterie légère.
La guerre d'indépendance Américaine (1775-1783) avait prouvé l'efficacité des formations l
égères qui opéraient en appui des formations de ligne. Le corps des Jaeger de l'Assia du
Capitaine Johann Ewald, en particulier, inspira de nombreuses unités semblables dans toute
l'Europe. Ewald comprit toutes les difficultés liées au commandement unique de la formation
entière qu'il avait sous ses ordres : en 1777, à peine débarqué dans les Indes occidentales,
il disposait de cinq compagnies à pied et une à cheval, représentant un total d'environ 500
hommes. Il préféra pourtant opérer habituellement avec une seule compagnie d'environ 80 hommes,
et parfois même moins, afin de garder étroitement le contrôle de l'unité engagée dans un
combat donné [14].
La masse d'hommes que la Légion des troupes Légères pouvait mettre en œuvre s'adaptait mal à
de tels procédés, et la mise sur pied des compagnies de grenadiers et de chasseurs, en 1786,
s'apparentait davantage à la création d'unités de ligne qu'à celle de troupes légères à
proprement parler. Mais, bien plus que les analyses de la guerre d'indépendance Américaine,
ce fut l'expérience que l'armée sarde développa en 1782 qui fut déterminante.
La Cour de Turin, afin de tourner l'isolement diplomatique qui se prolongeait depuis la fin
de la guerre de succession d'Autriche, avait accepté d'entrer de manière durable dans le pacte
de sécurité bourbonien, dénommé "Pacte de famille" [15], et de coordonner sa propre politique
italienne avec la politique française. Ce retournement pris corps avec les triples noces,
voulues par Louis XV et célébrées en 1771, 1773 et 1775, des Princesses sardes et du Prince
de Piémont avec deux frères et une sœur du futur Louis XVI. Elles furent suivies par une
alliance secrète formelle signée à Versailles le 8 avril 1775, par laquelle le Royaume de
Sardaigne se plaça de fait dans la sphère d'influence française [16].
C'est dans ce contexte qu'en juillet 1782 un corps de 3.000 soldats piémontais prit part,
aux côtés de 3.000 bernois et de 5.000 français, à la force multinationale dirigée par
le Général von Lentulus intervenue à Genève pour rétablir le gouvernement bourgeois.
Commandés par le Comte Francesco Ferrero della Marmora, les piémontais et les autres forces
d'occupation restèrent en garnison dans la cité helvétique jusqu'en mai 1783 [17].
Cette opération militaire, la première d'une certaine ampleur pour l'armée sarde depuis
1748, mit directement en contact les militaires piémontais avec les troupes de l'allié
français. L'armée aux Lys n'était plus celle de l'Assiette et, après l'analyse des graves
manquements qui s'étaient fait jour pendant la guerre de 7 ans (1756-1762), elle avait été
réorganisée et transformée en une machine de guerre efficace et disciplinée, comme elle eut
l'occasion de le démontrer pendant la guerre contre l'Angleterre, qui touchait alors à sa
fin.
Les régiments d'outre alpes, depuis le 25 mars 1762 (Ordonnance du Comte de St-Germain),
étaient formés de deux bataillons forts chacun de quatre compagnies de 116 fusiliers et de
deux autres compagnies de 101 hommes [18], l'une de grenadiers, l'autre de chasseurs. Chaque corps
disposait ainsi de sa propre formation de troupes légères sans avoir à rechercher le soutien
d'autres formations détachées.
Il n'est pas à exclure que, dans la mise en œuvre de la réforme de 1786, les rapports de
l'expédition militaire de Genève aient incité Victor Amédée III à adopter une formule
similaire. Qui plus est, en procédant de la sorte, il alignait ses propres forces armées sur
le modèle de ce qui se faisait chez son allié majeur, précisément le Royaume de France.
Par décret royal du 22 juin 1786, par l'intermédiaire de son ministre de la Guerre le Général
Giuseppe Ruffinoto Coconito di Montiglio, Victor Amédée III décida la mise sur pied des
compagnies de chasseurs dans les régiments d'Infanterie d'ordonnance nationale [19].
[14] A propos des procédés tactiques mis en œuvre par le Capitaine Ewald, voir Diary of
the American War, 1979.
[15] Signé à Paris le 16 août 1761.
[16] Ilari-Paoletti-Crociani, pp. 81-83.
[17] Guerrini, 1902, p. 532.
[18] Susane, 1874, I, p. 284.
[19] Les compagnies de chasseurs furent également mises sur pied dans les régiments d'Infanterie Suisse (Valais, Bernois, Grisons), Allemande (Royal Allemand) et Etrangère (Chablais). Reste à savoir si de telles compagnies furent aussi levées dans les régiments d'Infanterie Suisse nouvellement formés (Bachmann, Zimmermann, Peyer-Im-Hoff).
ORGANISATION ET EFFECTIFS
DES COMPAGNIES.
Le décret royal du 22 juin 1786 [20] organisait les régiments d'Infanterie d'ordonnance
nationale piémontais de manière analogue, au moins sur le papier, à leurs équivalents
français. Chaque corps, fort - sur le pied de guerre - de 1.090 hommes [21], était aligné sur
la base de deux bataillons : chacun d'eux était à son tour formé de quatre compagnies
(Capitaine-Colonelle, Capitaine-Major, Capitaine-Lt-Colonelle, Capitaine-major),
regroupées en deux "centuries".
En complément, dans chaque bataillon, on trouvait une compagnie de grenadiers et -
élément tout à fait nouveau - une compagnie de chasseurs ou, comme ils étaient définis,
de "chasseurs-carabiniers".
Les soldats, reprise de ce qui avait été décidé en 1735 et en 1737 lors de la constitution
des compagnies de carabiniers au sein des régiments de Cavalerie et de Dragons, ne furent pas
regroupés en unités autonomes, mais répartis dans les différentes compagnies de fusiliers.
Chaque compagnie disposait cependant d'un petit état-major :
[20] ASTO, "Sections réunies", Carte Antiche d'Artiglieria, Vol. 21, p. 474. Le texte
intégral est également publié dans Amato-Duboin, 1865, Tome 27, Volume 29, pp. 1647-1654.
[21] Le détail et les chiffres des effectifs des régiments d'Infanterie d'ordonnance
nationale sont extraits de l'Etat d'un Regiment d'Ordonnance de la Nation, le 5 juin 1790,
ASTO, Azienda generale d'artiglieria, Carte antiche d'Artiglieria, Volume XVI.
[22] Supra note 20.
[23] Amato-Duboin, 1865, Tome 27, Volume 29, p. 1672. Stato delle paghe fissate da S.M.
per li bass'ufficiali e soldati del reggimento di fanteria di Ciablese. Les mêmes différences
se retrouvent dans les soldes des officiers : un Capitaine de chasseurs gagnait 1.283
lires par an, contre 1.394 pour un Capitaine de grenadiers, et 1.172 pour un Capitaine de
fusiliers. La solde annuelle d'un Capitaine d'Infanterie provinciale se limitait à 383 lires.
RECRUTEMENT ET ENTRAINEMENT
DES CADRES ET DES SOLDATS
Dans la définition des critères de sélection des cadres, on retint ce qui avait été fait,
avec de bons résultats, lors de la mise sur pied de la Légion des troupes Légères. Le décret
royal du 22 juin 1786 disposait de fait que les officiers de chasseurs seront proposés par le
Colonel, qui prendra soin de choisir pour ce service ceux qu'il croira présenter les meilleures
dispositions, sans prendre en compte l'ancienneté [24].
Les officiers de chasseurs devaient être au nombre de trois par régiment: un Capitaine ou un
Capitaine-Lieutenant, un Lieutenant et un sous-lieutenant. Leur sélection devait être la plus
avisée possible, dans la mesure où ceux-ci devaient à leur tour choisir, entraîner et commander
des fantassins appelés à combattre aussi bien en ligne qu'en ordre dispersé, capables de
marcher rapidement, de s'abriter derrière des retranchements de campagne dressés par leurs
propres soins, tout autant que d'entretenir des feux intenses et précis.
On voulait une compagnie constituée de sujets lestes et robustes, à la fidélité avérée, et les
postes de chasseurs seront attribués en récompense de l'intelligence et des actions.
L'entraînement des soldats - qui pouvaient être renvoyés dans leurs compagnies d'origine
s'ils se révélaient inaptes à servir dans les compagnies de chasseurs - était plutôt intense.
En premier lieu, ils devaient s'habituer à entretenir leur propre arme, puis on les entraînait
à la marche mais surtout pour le pas de vitesse, et pour se rallier promptement. Le pas de
vitesse, ou pas accéléré, prévoyait des enjambées de 69 centimètres à la cadence de 120 pas
à la minute.
Mais le travail principal résidait dans l'entraînement du chasseur au tir :
On tachera ancore d'en faire autant que possible d'excellens tireurs, en les dressant à tirer au blanc. L'on
commencera pour cet objet à leur apprendre à tirer à balle à misure qu'on les jugera capables,
suivant les maximes ci-après.
L'on dressera un bût soit cible, de largeur de 12 à 14 onces, et de la hauteur de 42 à 48 [25];
il sera teint en noire à l'hauteur de l'éstomac d'un homme, l'on enteindra en blanc une partie
de 6 à 8 onces en quarré, au milieu du quel on fera un noir en rond d'environ un peu plus
d'une once de diamètre, et à son milieu il y aura ancore un petit blanc de la grandeur environ
d'une pièce de trente sols pour pouvoir mieux fixer la justesse du coup, et décider avec plus
de fondament de l'habilité du tireur.
On plantera ensuit le bût à la demi porte du fusil pour commencer à tirer depuis-là. Pour
empêcher que les coups ne s'écartent, on expliquera à ceux qui doivent tirer la manière de
mirer sans bayonette et l'effet de la porte de l'arme quand on est plus ou moins éloigné, on
fera fair plusieurs essais pour savoir s'ils comprennent, leur faisant observer que pour peu
que le canon ne soit pas tout dans la juste direction, le coups s'écartent à droite et à
gauche, et que pour mirer juste il faut qu'ayant l'oeil gauche fermé, l'oeil droit parcourant
toute la longueur du canon (sans qu'il soit panche ni à droite, ni à gauche) doit voir le
point de mire précisement vis-àvis du bût.
Après avoir montré au chasseur comment tenir son arme en vue du tir de précision, on
enseignait au soldat comment toucher la cible. Il importait de faire comprendre à la troupe
comment relever plus ou moins le canon du fusil en fonction de la distance : On fera
successivement comprendre au chasseur que tirant de près, cet-à-dire à la distance d'une 20.ne
de trabucs, avant que le poids de la balle l'aye faite décliner sensiblement, si tire sans
bayonette il faut mirer un peu au dessous du bût, et qu'avec la bayonette il faut mirer un
peu au dessous, et que plus on s'eloigne, plus il faut élever le bout du fusil.
Les tirs étaient effectués à une distance de 30 trabucs (92 mètres). On enseignait au chasseur
comment charger convenablement l'arme, comment disposer au mieux la poudre, la bourre et la
balle de plomb, comment tirer et, surtout, viser avec ou sans baïonnette. La principale
lacune, dans cette véritable école de tir, résidait dans le fait qu'on n'enseignait pas au
soldat comment atteindre un but en mouvement [26].
Les exercices de tir duraient trois jours consécutifs et devaient avoir lieu un mois par an,
avec une dotation de 11 ou - au maximum - de 13 cartouches. Le décret royal prévoyait
également que pour engager les chasseurs à y faire des progrès, S.M. accorde les prix ci-après
qui seront distribués de la manière suivante, et remboursés par l'officier général de solde
sur la déclaration de l'officier de chasseurs, qui aura dirigé l'école, visée par le colonel,
ou le commandant du corps. L'officier des chasseurs fera faire cette école sous ses yeux,
tiendra une note de tous ceux qui tireront, annotant ceux qui auront méritè quelque prix et
l'éspece des prix.
Des récompenses pécuniaires progressives étaient prévues, en fonction de la qualité des tirs :
Celui qui […] atteindra trois fois de suite la cible, aura deux sols et demi. Celui qui
donnera dans le grand blanc aura cinq sols. Celui qui donnera dans le noir du milieu aura
quinze sols. Celui qui donnera dans le petit blanc du milieu aura trente sols. Celui qui dans
le cours de l'école donnera trois fois dans le petit noir, et trois fois dans le cible,
aura le prix de six livres outre celui qui lui sera adjugé pour chaque coup, et sera déclaré
tireur, et en portera les distinctions.
Cet attribut distinctif s'ajoutait au galon spécifique des chasseurs : Les chasseurs auront,
outre les distinctions de leurs grades, un galon en serpentau sur les manches au dessous des
paremens, et ceux qui se distingueront par quelque action d'eclat, ou seront déclarés tireurs
comme cy-après, seront aussi distingués par un double serpenteau sur la rélation que l'officier
en fera au colonel, la quelle sera envoyée au bureau de guerre.
Parmi les armes attribuées aux chasseurs, il y avait le sabre à lame courte d'Infanterie.
Loin d'être une simple arme décorative, ou de parade, le sabre fut employé assez souvent
pendant la guerre des Alpes, spécialement pendant les innombrables coups de main, assauts
nocturnes et incursions en territoire ennemi dans lesquels les unités de chasseurs furent
engagés.
Une arme blanche dans les mains d'un soldat inexpérimenté devenait plus un fardeau inutile
qu'un instrument efficace dans l'assaut. Dans la mesure où seules quatre compagnies - les deux
de grenadiers et les deux de chasseurs - disposaient d'un tel équipement, il n'est pas à
exclure qu'il y ait eu un minimum d'entraînement à l'usage du sabre. Des maîtres d'escrime,
dont on sait qu'ils assuraient l'entraînement dans les régiments de Cavalerie, ont très bien
pu, de la même manière, enseigner aux soldats des unités d'Infanterie un certain nombre de
coups, nécessairement les plus simples et les plus létaux possibles.
Le 24 août 1786, le secrétariat royal décidait du recrutement de musiciens pour jouer du cor
de chasse dans les compagnies de chasseurs [27] et, le 19 septembre, publiait les critères de
sélection de ces personnels. Il était spécifié qu'on n'accepterait que ceux qui ont de bonnes
notions de musique, présentent de bonnes dispositions pour l'apprendre, fassent un service de
qualité, soient robustes, bien faits, d'agréable figure et bons à la marche [28].
Jusque dans la sélection des musiciens, le secrétariat royal se préoccupait donc de
n'affecter aux compagnies de chasseurs que des instrumentistes physiquement bien portants et
aptes aux longues marches. Musicalement parlant, l'examen des candidats devait être assuré
par Gaetano Pugnani, premier violon de l'orchestre royal, et directeur de la musique militaire
par lettres patentes du 17 août 1786.
Il était enfin souligné que lorsque l'instrumentiste avait eu une conduite excellente et
irréprochable, et s'il avait présenté de bonnes capacités musicales, il pouvait aspirer à
un poste de trompette dans une unité de Cavalerie.
[24] Les parties de texte de ce chapitre en caractères italiques, à défaut de toute autre
spécification, proviennent du document indiqué en note de bas de page n° 20.
[25] C'est-à-dire en utilisant la largeur et la hauteur maximale permise de 14 x 18 onces,
soit 60 x 200 cm. Une once piémontaise équivalait à 42,8846 mm.
[26] Contrairement à ce qui était le cas dans d'autres armées. Voir par exemple Zhmodikov,
2003, vol. 1, p. 14, pour l'armée russe du Tsar Paul 1er .
[27] Amato-Duboin, 1863, tome 27, volume 29, pp. 1659-1660, Décret royal du 24 août 1786.
[28] Amato-Duboin 1863, tome 26, volume 28, pp. 2324-2325. Lettre du Secrétariat royal à la Guerre pour la détermination du service des cors de chasse.
LA HACHE
La bandoulière des chasseurs permettait de loger une petite hache à un seul tranchant,
comme en étaient équipées les compagnies de grenadiers. Cet outil, sensiblement moins
volumineux et encombrant que celui utilisé par les sapeurs, prenait place dans une gaine
de cuir cousu à hauteur du flanc gauche et servait à abattre des obstacles passifs, tels
que palissades, portes, chevaux de frise, etc. mais également, comme on le verra plus loin,
pour édifier des fortifications de campagne à l'improviste.
LE SABRE
En 1774, il y avait trois principaux modèles de sabres dans l'armée royale sarde :
- le sabre de Sergent ;
- le sabre de Grenadier ;
- le sabre de Sergent du Régiment Gardes.
Le premier modèle, également attribué aux Sergents Majors, aux Caporaux-chefs et Caporaux,
possédait une garde de laiton à deux branches ornées d'un liseré, une poignée en bois revêtue
de cuir lié par un fil de laiton entrecroisé, une lame cannelée enrichie de la devise Vive le
Roi de Sardaigne gravée au recto, et un aigle couronné au verso.
Le deuxième modèle, en dotation pour tous les chasseurs, fifres, tambours et fusiliers du
seul Régiment Gardes ainsi qu'aux volontaires des unités provinciales, différait du premier
seulement par une lame plus large.
Le troisième modèle, destiné aux Sergents du seul Régiment Gardes possédait un pommeau en
forme de tête d'aigle et la poignée recouverte de fil argenté.
La dragonne, constituée d'un double lacet de cuir, était nouée à la garde du sabre.
Elle était de laine turquoise pour les grenadiers, les chasseurs, les musiciens et les
compagnie de la Légion des campements.
Le sabre piémontais était une impressionnante arme blanche d'Infanterie : constituée
d'une courbe extrêmement aiguisée à un seul fil d'une longueur de 62 cm, sa poignée de
laiton protégeait largement la main du fantassin.
Le sabre adopté par l'armée sarde pour les compagnies de chasseurs était une arme
excellente pour le combat au corps à corps. Toutefois, elle se révéla trop lourde et
encombrante pendant les marches effectuées sur les difficiles fronts montagneux de la
guerre des Alpes. Une autre gêne provenait de la forme de la ceinture qui, serrée à la
taille, supportait également le porte sabre et la baïonnette : cet élément de buffleterie
alourdissait la charge sur les côtés, la rendant plutôt incommode dans les mouvements.
Pendant les deux dernières années de la guerre, il n'était pas rare de rencontrer des
soldats sardes, surtout ceux qui appartenaient à l'Artillerie, aux "corps spéciaux",
aux unités provinciales et à la Milice, qui avaient abandonné la vieille ceinture porte
sabre pour adopter le modèle français plus commode, avec une bandoulière de cuir en travers
du corps [29].
[29] A propos des sabres Piémontais, voir Gobetti-Dondi, 2001, pp. 15-45. Sur les modifications des buffleteries : Ritratto del conte Birago di Borgaro, Musée historique national d'Artillerie ; Milicien Volontaire de la Ville de Turin, 1793-1796, Ales, 1989, p. 220.
ARMES A FEU : POURQUOI ADOPTA T'ON LE FUSIL Mle 1782 PLUTOT
QUE DES CARABINES A CANON RAYE
Le Décret royal du 22 juin 1786 stipulait que les chasseurs auront provisoirement
l'armement des autres soldats ; S.M. se réservant de déterminer le modèle de carabine qui
devra leur être distribué ensuite.
On distribua donc aux compagnies le fusil modèle 1752 à âme lisse, déjà en dotation dans
toute l'Infanterie d'ordonnance nationale, tandis que les officiers recevaient l'élégant -
mais coûteux - fusil modèle 1774.
Construit à plus de 95.000 exemplaires, le fusil Mle 1752 était une des meilleures armes du
XVIIIème siècle, soutenant la comparaison avec le Brown Bess britannique contemporain,
plus célèbre. Admiré et envié à l'étranger, le fusil piémontais fut pris pour modèle par
diverses armées étrangères, et surtout par la France où il servit de base au Fusil
d'Infanterie Modèle 1754.
Pendant les cinquante ans de sa vie opérationnelle, seule la forme de la crosse fut modifiée,
comme on le verra plus loin. 39.546 fusils de ce modèle, à section polygonale ou à section
circulaire, étaient disponibles en 1792 au début des hostilités.
Bien qu'il s'agisse d'une arme robuste excellente pour l'Infanterie, elle était mal adaptée
aux besoins des chasseurs, qui devaient tous être d'excellents tireurs.
Le 29 juin 1786, un rapport officiel relevait que : La hauteur et l'épaisseur de la côte de
bois qui s'élève à la partie supérieure de ladite culasse empêche le soldat d'appliquer l'œil
à la mire et ne lui permet pas d'ajuster le coup sur la cible qu'il conviendrait de fixer,
d'où il convient de proposer, afin de remédier à pareil inconvénient, et nous sommes entrés
dans cette détermination, de faire modifier ladite monture de sorte qu'elle soit
effectivement supprimée [30].
La chambre des fusils fut modifiée et le volume de la crosse réduit. Les compagnies de
chasseurs furent les premières à bénéficier de cette amélioration : Vous commencerez par
conséquent dès maintenant à faire réaliser ladite modification sur le nombre de fusils dont
devront être équipées les compagnies de chasseurs de chaque régiment [31].
Après une laborieuse phase de projet, le fusil Mle 1782 commença à être distribué aux unités :
la première unité à en être équipée fut le régiment d'Infanterie Suisse Rochmondet, le 19 mars
1789.
La livraison de cette nouvelle arme fut achevée juste à la veille de la guerre des Alpes,
avec la distribution du fusil Mle 1782 aux régiments d'Infanterie d'ordonnance nationale La
Marine et Sardaigne, le 19 mai 1792.
Destiné à remplacer l'armement antérieur, cette arme n'était guère plus, en dépit de nombreux
essais et expérimentations, qu'un développement du fusil Mle 1752. La baïonnette et la
baguette avaient été améliorées, le chien renforcé, mais la platine n'avait pas la même
robustesse que les modèles antérieurs. La culasse, les garnitures et les méthodes de
production étaient identiques.
Le fusil Mle 1782 pouvait être comparé au prussien Mle 1782 et à l'autrichien Mle 1784,
mais il était totalement surclassé par son adversaire direct, le fusil français Mle 1777,
arme nouvelle et en évolution continue, ainsi que par les fusils britannique Mle 1792 et
autrichien Mle 1798.
En septembre 1792, les chasseurs affrontèrent l'ennemi armés du fusil Mle 1782 avec sa
baïonnette adaptée, c'est-à-dire avec seulement une amélioration de l'arme qui leur avait été
distribuée provisoirement. On avait de toute façon décidé, probablement dès les mois suivant
la mise sur pied des compagnies de chasseurs, de ne fournir aux soldats de ces unités aucune
carabine à âme rayée.
Les raisons de ce choix furent plutôt complexes, en partie dictées par des considérations
d'ordre tactique, et en partie pour des raisons d'ordre politico-stratégiques.
En outre, chez les militaires sardes, les tragiques et sanglants combats livrés par les
compagnies de carabiniers des Régiments de Cavalerie et de Dragons pendant la guerre de
succession d'Autriche restaient dans les mémoires [32].
Avant cette guerre, cinquante hommes sélectionnés dans chacun des corps montés avaient
dès le 27 décembre 1737 été équipés de carabines rayées. Après des débuts médiocres à la
bataille de Camposanto (8 février 1743) ces carabiniers regroupés au sein d'une formation
de 300 hommes furent activement employés dans les Alpes : le 16 juillet 1744 commença la
bataille de Pietralunga, dans la vallée de la Varaita.
L'affrontement, entre une colonne française de diversion et le gros de l'armée sarde, se
poursuivit pendant deux jours, avec des pertes plutôt élevées. L'action fut caractérisée par
de nombreux engagements ponctuels, le plus sanglant ayant lieu à la redoute de Monte Cavallo.
Les premiers engagements se produisirent le 17 juillet, à six heures quarante-cinq du matin,
quand le détachement du Brigadier Général François Chevert, descendant du campement de Ceyol,
prit contact avec le détachement du Lt-Colonel Charles Antoine Roi, du régiment d'Infanterie
Suisse Roquin.
600 grenadiers de divers régiments, et la totalité des 300 hommes des compagnies de
carabiniers envoyées en renfort le matin même depuis leur position du col de Bondormir,
étaient retranchés dans les cabanes du hameau de La Gardette de Sant'Anna.
A La Gardette, les piémontais avaient transformé en fortins une dizaine de cabanes, ouvrant
dans les murs les meurtrières nécessaires pour pouvoir utiliser les armes individuelles. Les
maisons se couvraient l'une l'autre et interdisaient le passage vers le fond de la vallée et
vers le col de Bondormir, objectif des assaillants.
Les 1.500 hommes de Chevert (un bataillon du Régiment Brie et quatre compagnies de grenadiers
des Régiments Poitou, Conti et Provence) donnèrent immédiatement l'assaut aux positions sardes
et enlevèrent une première cabane, mais il en restait encore une dizaine à prendre, d'où les
piémontais entretenaient un intense feu d'interdiction.
Chevert recula un instant pour réorganiser son dispositif et se préparer à la reprise de
l'assaut à une autre cabane lorsqu'il fut rejoint par le Comte de Danois à la tête de la
Brigade Poitou (trois bataillons du Régiment Poitou). François Chevert transmit le combat
à ce deuxième échelon et se porta sur la droite de la vallée pour tourner la position et
couper toute issue à l'ennemi.
Le Lieutenant-Colonel Roi ordonna immédiatement le repli, laissant en arrière-garde les
300 carabiniers. L'intention de cet officier était d'engager l'ennemi du plus loin, en
tirant parti de la longue portée des carabines, afin de tenir à distance la colonne adverse.
Malheureusement pour les carabiniers, le mouvement tournant du Brigadier Chevert avait en
pratique coupé l'arrière-garde du gros des troupes qui se repliaient : Ces carabiniers,
quoique tous gens choisis dans les régiments de Dragons et de Cavalerie, se trouvant serrés
de près par les ennemis, et ne pouvant se servir de leurs carabines parce qu'ils n'étaient
pas pourvus de balles volantes [sous-calibrées] mais seulement de grosses balles à introduire
de force dans les canons de leurs armes à feu, ce qui prenait beaucoup de temps, après avoir
au début soutenu en bon ordre le repli, au cours duquel ils avaient perdus 30 à 40 tués,
finirent par s'enfuir précipitamment lorsqu'ils virent leur liaison coupée du gros par la
colonne susmentionnée ; chacun ne chercha plus qu'à s'échapper, qui d'un côté, qui de
l'autre, et abandonnèrent ces rochers, et ils rejoignirent en partie Bellino, en laissant
environ 80 des leurs, parmi lesquels de nombreux prisonniers, dans les mains de l'ennemi [33].
A l'issue de la bataille, le 19 juillet 1744, la ligne piémontaise à Casteldelfino était
pratiquement enfoncée, masquant l'effort principal de l'offensive du Prince de Conti qui
avait réussi à forcer le barrage piémontais dans la vallée de la Stura di Demonte, et
entreprenait l'investissement de la forteresse de Demonte et de la place forte de Cuneo.
Le procédé tactique consistant à employer des carabiniers en arrière-garde s'avéra
effectivement très coûteux. L'idée de couvrir une masse d'hommes en cours de repli
avec un élément équipé d'armes à âme rayée, quoique bien plus longues à recharger que
des armes à âme lisse, était pourtant bien ancrée dans l'esprit du Commandement sarde :
on y tenait la portée accrue pour plus avantageuse que la rapidité du tir, sans tenir compte
du faible effectif - trois cents hommes - de la troupe devant opérer ainsi en arrière-garde.
La défaite de Bassignana, le 27 septembre, en dehors d'avoir été le moment le plus sombre
pour les armes du Royaume de Sardaigne pendant la campagne de 1745, marqua le chant du cygne
des armes rayées piémontaises.
A l'aile gauche du dispositif piémontais la Cavalerie du Chevalier Della Manta fut obligée
de se replier face à la pression des éléments espagnols qui passaient à gué le Tanaro. Pour
protéger le repli, on envoya le Lt-Colonel Della Villa avec ces mêmes 300 carabiniers. Della
Villa, manœuvrant plutôt habilement et s'appuyant sur les vallons qui coupent la plaine de
Bassignana, parvint à retarder le plus longtemps possible la progression de l'ennemi jusqu'à
ce que ses carabiniers, aux abords de Cascina Grossa, assaillis de flanc et de front par une
masse de l'ordre de 20.000 espagnols, fussent anéantis et lui-même fait prisonnier.
Sur ce, les attaquants purent s'en prendre à l'escadron de queue de la colonne piémontaise,
l'un des cinq du régiment Dragons de Piémont, qui fut littéralement mis en pièces, perdant
160 hommes et 2 étendards. Les pertes en hommes des compagnies de carabiniers furent alors une
des plus élevées de toute l'armée Sarde, de presque 100%.
Les graves revers subis par les troupes montées équipées de carabines rayées conditionna
défavorablement le développement de ces armes en Piémont, où leur emploi resta extrêmement
impopulaire
Une fois gagnée la guerre de succession d'Autriche, l'armée du Roi de Sardaigne parut oublier
les problèmes tactiques et techniques auxquels les armes rayées avaient donné lieu et les
carabines furent de nouveau distribuées aux Carabiniers qui continuèrent d'être répartis
au sein des compagnies de Cavalerie.
En 1751, Charles-Emmanuel III décida de renouveler l'armement de l'Armée et les carabines
rayées furent retirées dans les régiments de Dragons, et remplacées par le fusil à âme lisse
Mle 1751.
On ne parla plus de carabines rayées pendant plusieurs décennies : l'affectation des armes
rayées fut limitée à de rares unités de Cavalerie et aux troupes de forteresse, tandis que
partout en Europe on développait les premières expérimentations d'unités intégralement
armées de carabines rayées.
Quelles furent les raisons d'un tel choix ? Avant tout, le souvenir pesait encore des
médiocres prestations des carabiniers au cours de la guerre de succession d'Autriche. Victor
Amédée III - à l'époque Prince de Piémont - avait alors personnellement commandé en diverses
occasions, dont la bataille de Bassignana en septembre 1745, le régiment Dragons du Genevois,
surnommé pour cette raison Dragons de S.A.R.
Il avait parfaitement en mémoire, par conséquent, les pertes qu'avaient subies les compagnies
armées de carabines rayées. Les compagnies de chasseurs, levées au sein des régiments
d'Infanterie d'ordonnance nationale dans le but de procurer une unité de tireurs d'élite aux
troupes de ligne, ne furent donc jamais équipées de carabines rayées, nonobstant leur
dénomination de Chasseurs-Carabiniers.
Si elles avaient été employées dans les conditions appropriées, les armes rayées auraient
pourtant pu constituer pour l'armée du Royaume de Sardaigne une excellente arme pour la guerre
de montagne : un tireur posté sur un rocher ou une éminence pouvait tenir sous son feu un
vaste champ de tir, grâce à la longue portée d'une arme rayée. La lenteur du rechargement, qui
constituait en plaine un grave handicap, n'en était plus un en montagne en raison de la
difficulté du terrain. Avant de parvenir au contact du tireur, n'importe quel attaquant devait
progresser en terrain accidenté, souvent en montée, et se trouver de fait à sa merci.
Or, compte tenu de la situation géographique des Etats Sardes, une guerre livrée en montagne
aurait nécessairement été une guerre contre la France : telle n'était pas l'opinions qui
prévalait à la Cour de Turin, qui privilégiait l'hypothèse d'un conflit dans la péninsule.
Comme on pensait qu'on devrait livrer une guerre dans la plaine padane, on décida à juste
titre de mettre l'accent sur la puissance et le volume de feu des bataillons d'Infanterie,
au détriment de la portée et de la précision du tir.
C'est pour cette raison que les carabines rayées, dans l'armée sarde, ne connurent qu'un
développement proche du minimum pendant le dernier quart du XVIIIème siècle.
Les techniciens piémontais n'ignoraient pas pour autant ce qui se passait à l'étranger,
s'agissant du développement des armes à feu à canon rayée : le Chevalier Napione avait
effectué de nombreux voyages en Allemagne et en Autriche, visité les arsenaux et
les manufactures, manipulé personnellement les excellentes carabines en dotation chez les
Jäger impériaux. Les Chevaliers de Robilant et de Salmour en avaient fait autant.
Simplement, ces techniciens et académiciens pourtant intelligents avaient écarté de leurs
programmes - ou on leur avait fait écarter - les armes rayées.
Au cours de la guerre des Alpes, les chasseurs des régiments de l'armée sarde et les
formations de chasseurs volontaires n'utilisèrent jamais les belles carabines rayées,
courtes et maniables, puissantes et précises, munies de hausses réglables, dont disposaient
les Jäger impériaux depuis 1759 [34].
[30] ASTO, "Sections réunies", Regi Viglietti e Dispacci, Décret royal du 29 juin 1786.
[31] Supra note 30.
[32] En 1735 existaient en premier lieu les régiments de Cavalerie Royal Piémont et Savoie
Cavalerie. Venaient ensuite les régiments de Dragons : Dragons de Piémont, Dragons de S.M.,
Dragons du Genevois et, après le 28 novembre 1736, le régiment Dragons de la Reine. Chaque
corps comptait, en temps de guerre, 622 hommes répartis en un état-major et 10 compagnies
regroupées à leur tour en 5 escadrons d'un effectif moyen de 130 cavaliers. En Sardaigne
stationnait le petit Corps des Dragons de Sardaigne, fort de 3 compagnies seulement. Pour
le Royaume de Sardaigne, la difficulté majeure à maintenir opérationnelles ces unités ne
tenait pas tant à l'équipement qu'aux montures, faute d'une structure efficace de remonte
sur le territoire du Royaume.
[33] Le combat, qui dura de six heures quarante-cinq le matin jusqu'à midi, coûta une
centaine de tués et de blessés aux Français, contre environ 250 aux Piémontais. Deux cents
de ceux-ci furent prisonniers, au nombre desquels un Major et douze Capitaines et Lieutenants
(Galleani d'Agliano, 1840, P. 129. Voir également St-Simon, 1770).
[34] Parmi les nombreuses unités de troupes légères mises sur pied par le Royaume de Sardaigne pendant la guerre des Alpes, une seule, la Centurie des Chasseurs Carabiniers de Canale, fut dotée en novembre 1792 de carabines rayées. Il s'agissait de carabines de Cavalerie Mle 1743. Le chargement de cette arme était tout sauf aisé, et elle était dépourvue des plus élémentaires dispositifs de visée pour le tir de précision. De fait, la troupe n'apprécia pas les médiocres performances de cette arme et, le 15 mars 1794, le Secrétariat à la Guerre décida de son remplacement par 423 fusils de Dragon. En août 1794, à en juger d'après les plaintes des soldats, la substitution complète n'était pas encore achevée (Sterrantino, 2002, p. 247).
DE 1786 A 1792
Une fois constituées les compagnies de chasseurs, encore convenait-il de déterminer comment
employer avantageusement ces nouvelles unités d'élite sur le champ de bataille. On ne rédigea
pourtant aucun traité à ce sujet, pas plus qu'on ne diffusa d'ordres à propos de l'emploi
tactique des chasseurs. L'organisation et la répartition des hommes au sein des compagnies
d'Infanterie de ligne laisse présumer qu'on pensa alors employer les chasseurs à l'instar
des carabiniers dans les unités à cheval.
Les missions des compagnies de chasseurs, par conséquent, peuvent être schématisées en :
[35] La mention la plus ancienne de ces bataillons l'est dans Pinelli, 1854, pp.48 et 127.
[36] Amato-Duboin, 1865, tome 27, volume 29, PP. 621-622.
LA GUERRE DES ALPES
ET LES NOUVEAUX SCENARI OPERATIONNELS
Au commencement de la guerre des Alpes, les compagnies de chasseurs étaient donc employées,
dans le meilleur des cas, en tant qu'unités spécialisées dans le tir de précision en appui
des bataillons ordinaires ou, au minimum, comme force de police militaire.
En septembre 1792, les chasseurs durent combattre un ennemi tout à fait inattendu, sur un
théâtre d'opérations qui n'avait pas envisagé : les alpes occidentales.
Les régiments d’Infanterie, entraînés depuis des années à manœuvrer en formations linéaires,
furent obligés de se fractionner non seulement en bataillons, mais même en centuries, sinon
en compagnies, comme l’écrit le Chevalier de Quinto à propos de l’offensive malheureuse contre
Gilette en 1793 : d’ordre de S.E. le Général de Vins, le 16 8brel’armée se porta au col du
Vial pour l’expédition de Gilette, où les troupes Piémontaises divisées en un grand nombre de
petits corps, tant le Comte di Rinco que le Chev. di Quinto se retrouvèrent à la tête d’une
seule centurie du Régiment Gardes, ce dont S.A.R. même fut le témoin oculaire, qui la vit
marcher pour soutenir la retraite, après quoi elle rejoignit au bout de quelques jours son
régiment cantonné à Tournefort, vu son inutilité au camp de Tourettes.[37]
Après la désastreuse campagne de 1792, un certain nombre de décisions pragmatiques furent
prises l’années suivante en ce qui concerne l’organisation des compagnies de chasseurs :
elles furent en février 1793 extraites de leurs régiments d’origine et regroupées en deux
bataillons formant corps, dénommés les 1er et 2nd Bataillons de Chasseurs, constitués comme
suit :
A partir de la campagne de 1793, les deux bataillons, en même temps que les nombreuses
compagnies autonomes de chasseurs, développèrent peu à leur propres procédés de combat.
Il est possible d’en identifier trois principaux à partir des opérations dans lesquelles
les bataillons de chasseurs furent mis en œuvre pendant les premiers temps du conflit :
[37] ASTO, "Cour", Materie Militari, Imprese, Mazzo 10 da inventariare, Supplica del
cavalier di Quinto.
[38] Il s’agit de l’ancien Régiment d’Infanterie d’ordonnance nationale Fusiliers.
Le 16 septembre 1774, il fut renommé Régiment d’Infanterie d’ordonnance nationale Aoste,
en l’honneur de son Colonel, S.A. Victor Emmanuel, Duc d’Aoste (Brancaccio, 1922, PP 72-78).
[39] Le Régiment d’Infanterie Etrangère Sury, (ex-Audibert, puis Montfort) fut renommé
Chablais le 18 octobre, en l’honneur de son colonel, S.A. Benoit Marie Maurice, Duc de
Chablais. Le 30 janvier 1794, il fut classé Régiment d’Infanterie d’ordonnance nationale
(Brancaccio, 1922, PP. 91-97).
[40] Le régiment d’Infanterie provinciale Tarentaise fut renommé Maurienne, en l’honneur de
son nouveau commandant, S.A. Joseph Placide, Comte de Maurienne (Brancaccio, 1922, pp 165-166).
[41] Le 28 février 1792, on leva une Centurie de la Marine, à laquelle s’ajoutèrent,
le 20 mars puis le 8 août suivants, une 3ème et une 4ème compagnie, pour former ainsi, le
23 janvier 1793, le régiment Nouvelle Marine, renommé Oneille le 8 février. La 1ère compagnie
de chasseurs fut levée le 14 mars 1794, et la 2nde le 8 février 1795 (Brancaccio, 1922, P. 357).
[42] Pinelli, 1854, p. 175. Voir en annexe la biographie de Colli Ricci.
[43] ASTO, "Cour", Materie Militari, Imprese, Mazzo 11 d’addizione, Lettre du Capitaine de La
Motte sur les opérations d'un corps de chasseurs sur le front de l'Authion, 19 juin 1793.
[44] Pinelli, 1854, pp. 240-241.
DE 1794 A 1795 :
LES CHASSEURS EN TANT QUE TROUPE D’ASSAUT
Au cours de la campagne de 1793, les bataillons de chasseurs furent encore employés,
somme toute, comme simple force d’appui aux autres unités. Certains entendaient toutefois
employer ces unités en tant que troupe d’assaut parfaitement autonome, un peu comme cela
avait le cas l’été précédent pendant la campagne de Savoie.
Le Major Colli Ricci fut l’un des promoteurs de l’emploi des compagnies de chasseurs en
tant que troupe d’assaut. Après avoir commandé un élément du régiment d’Infanterie provinciale
Mondovi aux combats de Lantosque le 6 avril 1793, cet officier fut détaché auprès du 1er
Bataillon de chasseurs. A la tête de ce corps, il put bientôt en apprécier pleinement les
qualités et les possibilités tactiques pendant les opérations qui suivirent la bataille de
l’Authion.
Le 16 avril 1794, il fut porté au commandement du 2ème Bataillon de chasseurs ; à partir de
ce moment, après avoir brillamment assuré la couverture des forces sardes qui se retiraient
des zones stratégiques de la Tanarde et du Tanarello, Colli Ricci fut en mesure d’assigner
des procédés tactiques précis au corps qu’il commandait et, au contact d’autres officiers de
troupes légères, à les transmettre aux autres formations en compagnie desquelles il se
trouvait devoir combattre. Après deux années d’expérience, les compagnies de chasseurs
opéraient selon les modalités suivantes :
A. OPERATIONS OFFENSIVES
[45] ASTO, "Cour", Materie Militari, Imprese, Mazzo 11 d’addizione, Copie de la relation du
Chevalier Costa capitaine de Chasseurs du Regiment de Genevois, et commandant à Oulx à M.
le Chevalier de Revel du 21 juin 1795
[46] Supra note 45.
[47] Krebs & Moris, 1895, Vol. II, p. 293.
[48] ASTO, "Cour", Materie Militari, Imprese, Mazzo 11 d’addizione, Precis des Attaques
faites le 25, et le 27 juin 1795 par les Troupes aux ordres de S.M. le Lieutenant Général
Baron Colli.
[49] ASTO, "Cour", Materie Militari, Imprese, Mazzo 11 d’addizione, Copie du Rapport
de M.r d’Albion, Major du Régiment d’Oneille à Mons. le Baron Streng Commandant les
Troupes dans la Vallée de Sture de l’expedition du 29 au 30 juillet faite contre l’Ennemi
au Camp de S.te Anne. Datée Vinay le 30 juillet 1795.
[50] Merla 1988, pp. 256-258.
[51] Supra note 45.
[52] Supra note 47.
[53] Supra note 45.
[54] Supra note 49.
[55] ASTO, "Cour", Materie Militari, Mazzo 11 d’addizione, Copia della relazione del Sig.
Marchese di Sommaria in data di Susa li 27 agosto 1795.
[56] Supra note 48.
[57] Dans les Alpes les soldats - tant français que piémontais - avaient l’habitude de
retourner leur justaucorps, souvent de couleur turquoise, pour ne présenter à l’extérieur que
la doublure blanche, moins visible sur la neige (Pinelli, 1854, Vol. 1, p. 502).
[58] Supra note 50.
B. OPERATIONS DEFENSIVES
[59] Supra note 48.
[60] Le rapport du Major Colli Ricci, dont sont extraites ces citations, est
intégralement reproduit dans Krebs & Moris, 1895, vol. 2, pp. 292-294. L’épisode
est également rapporté par Pinelli, 1854, pp. 467-469. Toutefois, les divergences
entre les deux versions sont importantes. Le présent essai a par conséquent retenu
la sobre version de Colli Ricci, acteur principal de l’opération.
[61] Les deux compagnies de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Novare, levées le
30 septembre 1793, ne faisaient pas partie du 2ème Bataillon de chasseurs. Il est probable
que, employées en tant que compagnies autonomes, elles aient momentanément été agrégées au
corps commandé par Colli Ricci pour l’action contre Fremmamorte.
[62] En relisant Colli attentivement, ce ne sont pas 19 mais bien 20 tués qu’il faut compter.
Avec les 30 blessés, les pertes totales s’élèvent donc à 50 hommes.
[63] Elles étaient constituées du 2ème Bataillon de chasseurs (379 hommes), des compagnies
du Rgt Oneille (42 hommes) d’une compagnie de Pionnier aux ordres du Cne Govone (73 hommes)
et de 11 artilleurs qui servaient deux pièces.
[64] Rapport du Cne Chevalier Maistre, cité dans Barberis-Bertolotto, 1995, P. 84.
[65] Supra note 64.
LE REGIMENT DE CHASSEURS
Au cours du conflit, les régiments d’Infanterie provinciale également mirent sur pied
leurs propres compagnies de chasseurs. [66]
On ignore si elles furent affectées aux deux bataillons de chasseurs qui avaient été
formés en février 1793 : seules les deux compagnies de Maurienne furent affectées au 2ème
bataillon. Il semble, d’après les rapports de leurs commandants, que ces compagnies opéraient
en tant qu’unités autonomes, détachées par le commandement dans les secteurs où l’on estimait
nécessaire la présence de telles troupes.
Ces nouvelles unités furent les suivantes [67]:
- 1ère et 2ème Cie de chasseurs du Corps de Grenadiers Royaux, 21 janvier 1793 ;
- 1ère et 2ème Cie de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Novare, 30 septembre 1793 ;
- 1ère et 2ème Cie de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Mondovi, 11 janvier 1794 ;
- 1ère et 2ème Cie de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Pignerol, 28 février 1794 ;
- 1ère et 2ème Cie de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Casale, 28 février 1794 ;
- 1ère et 2ème Cie de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Suse, 28 février 1794 ;
- 1ère et 2ème Cie de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Acqui, 28 février 1794 ;
- 1ère et 2ème Cie de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Nice, 28 février 1794 ;
- 1ère et 2ème Cie de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Aoste, 19 mars 1794 ;
- 1ère Cie de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Asti, 21 mars 1794 ; 2ème Cie,
15 avril 1796 ;
- 1ère et 2ème Cie de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Turin, 24 mars 1794 ;
- 1ère et 2ème Cie de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Verceil, 24 mars 1794 ;
- 1ère et 2ème Cie de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Genevois [68], 27 mars 1794 ;
- 1ère et 2ème Cie de chasseurs du Rgt d’Infanterie provinciale Maurienne, 11 novembre 1794.
En 1796, le front recula jusqu’en Piémont : l’armée sarde s’était retranchée sur les hauteurs
de Ceva. Le 20 mars il fut décidé de former le Régiment de chasseurs, placé sous les ordres
du Colonel Colli Ricci di Felizzano. Le régiment était constitué des 1er et 2ème Bataillons
de chasseurs, réunis en un corps unique sous le même commandement. Quelles furent les raisons
de ce choix, et pourquoi ne fut-il pas effectué plus tôt ?
Le terrain des affrontements à venir, partie sur les collines des Langhe et de Monregale,
partie dans la plaine de Cuneo, était bien moins difficile que celui des Alpes maritimes et
des Apennins où l’on avait combattu les années précédentes. La perspective de devoir affronter
l’ennemi dans une grande bataille en terrain ouvert fit sans doute son chemin dans l’esprit
des chefs piémontais.
Pendant les campagnes de 1794 et de 1795, la géographie avait favorisé le fractionnement des
forces adverses, éparpillant les combats principaux en autant de petites actions qui se
produisaient au besoin à plusieurs kilomètres les unes des autres. Des formations réunissant
plus de 5.000 fantassins étaient chose rare et, en tout état de cause, les deux corps de
chasseurs existants suffisaient largement pour assurer efficacement les missions de
reconnaissance ou de flanc-garde de tels regroupements de troupes.
En descendant sur les collines des Langhe et dans la plaine piémontaise, les formations à
la disposition du commandement sarde devaient nécessairement être tôt ou tard réunies en un
élément unique en vue de la bataille : le Lieutenant Général Colli-Marchini commandait une
armée d’environ 18.000 hommes et pour couvrir l’avance ou le repli de tels effectifs,
un bataillon de chasseurs n’aurait certainement pas suffi. C’est ainsi qu’on décida de
former un Régiment de chasseurs en mesure d’agir au profit de l’armée entière.
Quelques jours après sa constitution, la nouvelle formation fut vite durement engagée dans
l’action : le 13 avril, le régiment prit part à la tentative infructueuse de rupture de
l’encerclement de la poche de Cosseria, et se heurta à la brigade Beyrand [69]. Trois jours plus
tard, il défendit la redoute du Bric Giorgino, attaquée par la 2ème division d’avant-garde
Meynier. Enfin, le 21 avril, il couvrit la retraite de l’armée sarde lourdement défaite à
Brichetto, en stoppant la poursuite entreprise par cette même 2ème division d’avant-garde.
A la fin du conflit, le régiment contrôlait les gués de Sant’Albano, sur la Stura, à faible
distance de Fossano. Le sac de la ville, attribué aux chasseurs de Colli Ricci, fut au
contraire le fait de soldats débandés du Corps Franc : dans la soirée, on veilla à armer
un bon nombre de citoyens pour se défendre des soldats du Corps Franc, déserteurs et isolés,
lesquels nonobstant ces mesures ne manquèrent pas de commettre de très graves méfaits aux
dépens des habitants des campagnes et dans le ghetto des juifs, comme ils l’avaient fait la
nuit précédente. [70]
Le Régiment de chasseurs, en arrière-garde, combattit jusqu’au dernier jour de la guerre.
Le 26 avril encore, le Lieutenant Général Colli-Marchini écrivait dans son rapport :
Bra, ce 26 avril 1796, deux heures après minuit, au Comte d’Hauteville.
L’ennemi, plus que jamais ardent à convaincre le Roi à faire la paix, après l’offre qui
lui a été faite d’un armistice, a attaqué Cherasco, qu’Il a abandonné pour sauver la troupe.
Il a fait passer quelques pelotons sur la gauche de la Stura, protégé par des pièces
d’artillerie. J’ai d’abord ordonné la retraite sur les hauteurs de San Fré. J’ai ordonné au marquis Colli
de soutenir les hauteurs de Fossano pour retarder le passage de la colonne ennemie [Sérurier]
qui essaye de percer à Fossano. A sept heures Colli a été attaqué, et a repoussé l’assaut,
mais demain il sera forcé de se retirer à Savigliano puis à Carignano.
Le Général Beaulieu n’arrivera pas à temps, retardé par les mauvaises routes, ses soldats
sont gênés par la forte pluie. Il faut, en l’attendant, faire prendre position à côté de
Carmagnola à une partie des troupes qui sont à Turin, et me désigner les positions qu’elles
pourraient occuper avec le meilleur avantage.
Colli
L’armistice de Cherasco était signé le 28 avril 1796, mettant fin à la guerre des Alpes.
Le Régiment des chasseurs et ses bataillons furent dissous, et les compagnies rejoignirent
leurs anciens régiments.
[66] Le Corps des Grenadiers Royaux également comportait dans son organigramme deux
compagnies de chasseurs (Brancaccio, 1922, P. 190).
[67] Ces détails sont extraits de Brancaccio, 1922, pp. 163-192.
[68] Le Rgt d’Infanterie provinciale Chablais fut renommé Genevois le 16 septembre 1774,
en l’honneur de son Colonel Charles Félix, Duc de Genevois (Brancaccio, 1922, pp. 163-164).
[69] Cette brigade appartenait à la 3ème division du Gal Augereau.
[70] Rapporto amministrazione di Fossano, MERLA 1988, p. 364.
L'activité des compagnies de chasseurs est l’un des aspects les moins connus de l’armée
piémontaise du XVIIIème siècle. Leur formation, leur volume, leurs faits d’armes sont
enveloppés de ce flou indélébile qui semble affecter toute l’histoire de la guerre des Alpes.
Il s’agissait sans aucun doute d’un corps d’élite très efficace, dont les soldats furent
scrupuleusement sélectionnés et entraînés, avec une régularité et une continuité sans
équivalent dans l’histoire militaire sarde. La troupe était commandée par des officiers
experts, parmi les meilleurs de l’armée, tant pour leur courage que pour leurs qualités
intellectuelles. Il suffit pour s’en persuader de constater qu’ils conçurent, expérimentèrent
et codifièrent seuls des procédés tactiques inédits.
La prise du col de la Spinarda et la défense de la redoute du col de San Bernardo
constituent des épisodes dignes d’être célébrés, à l’égal des combats pour la demi-lune
du Soccorso à la citadelle de Turin en 1706, ou de la bataille de l’Assiette en 1747.
Mais l’Assiette portait le sceau d’une guerre victorieuse, tandis que la Spinarda n’était
qu’un épisode d’une défaite annoncée : c’est ainsi que les Grenadiers de San Sebastiano
sont encore honorés, mais que les Chasseurs de Colli Ricci ne sont plus que le souvenir
éteint d’une armée vaincue.
L’armée de Victor Amédée III avait été pensée, organisée et équipée pour une guerre dans
la plaine du Pô, une guerre à livrer aux côtés du Royaume de France. Tel était le propos
de Victor Amédée III qui, dès la première année de son règne, avait conclu un traité
d’alliance défensive avec la France en entrant, comme il a été souligné plus haut, dans
la sphère d’influence de ce que l’on a appelé le "Pacte de famille".
Il va de soi que l’ennemi "naturel" devenait l’empire habsbourgeois. Ce n’est pas par
hasard qu’après des années d’une ardeur fortificatrice soutenue, qui s’était manifestée
par d’imposants barrages fortifiés au seuil des passages alpins, que Victor Amédée III
ordonnait la construction du nouveau fort de San Vittorio à Tortona - technologiquement
le plus avancé des forteresses sardes du XVIIIème siècle - précisément à la frontière
orientale du Royaume avec l’Empire et la chancelante République de Gênes. Bien avant 1785,
deux grands centres logistiques, Alessandria et Tortona, étaient parfaitement opérationnels
et en mesure de soutenir les manœuvres de l’armée royale sur les frontières orientales et
dans le Plaisancin.
Les grands théoriciens militaires de Turin, au premier rang desquels Alessandro Vittorio
Papacino d’Antoni, auteur extrêmement lucide et presque prophétique de Réfléxions
préliminaires pour dresser un projet de difensive pour les Etats du Roi, qui confinent avec La
Savoie, Le Dauphiné, La Provence, et la Riviére de Genes, depuis Ormée jusqu’à Novi [71], dans
lequel il théorisait la stratégie d’une guerre contre la France, furent chargés de planifier
la guerre contre l’Empire.
Papacino d’Antoni se vit obligé de reprendre des rapports vieux désormais de cinquante ans,
qui remontaient à la guerre de succession de Pologne, et de proposer un plan d’invasion de
la Lombardie calqué sur celui de Charles Emmanuel III en 1733. [72]
Pour un affrontement dans la plaine, on pensait avoir raison de l’ennemi en entamant son
dispositif par le feu : ces coups d’estoc devaient être assurés par la puissance de feu
des bataillons.
A la fin des années quatre-vingt du XVIIIème siècle, l'équipement de chaque unité de l’armée
sarde illustrait au plus haut point ce dessein : les officiers et les Sous-officiers mêmes
étaient armés de fusils, comme le reste de la troupe, tandis que les corps se voyaient dotés
d’une artillerie régimentaire avec les pièces de 4 livres "à la saxonne", conçues par le
Grand Maître de l'Artillerie Casimiro Gabaleone di Salmour. Ces canons avaient une cadence
de feu théorique supérieure à dix coups à la minute, grâce à l'emploi de projectiles
sous-calibrés.
Les compagnies de chasseurs furent pensées pour "préparer" par leur feu la ligne ennemie
aux salves dévastatrices que les bataillons d'Infanterie devaient ensuite déclencher.
Un conflit dans la plaine padane, fondé sur la puissance de feu, sur la manœuvre ordonnée
de brigades entières déployées en ligne et sur l'appui d'une Cavalerie nombreuse : telle
était la guerre que la cour de Turin aurait voulu livrer. Tout projet, ou modification,
concernant l’armement et destiné au combat en montagne fut invariablement rejeté.
Mais le Royaume de Sardaigne se trouva devoir mener une guerre contre l’ex-allié,
diplomatiquement isolé, sur le mauvais front. La stratégie de défense linéaire adoptée
pendant la guerre des Alpes est l’aspect le plus manifeste de cette impréparation
technologique et stratégique totale.
Les compagnies de chasseurs, en raison de leur nature même, de leur souplesse tactique
et de la capacité de leurs chefs, furent les unités qui surent le mieux s’adapter aux
nouvelles exigences opérationnelles.
[71] ASTO, "Cour", Materie Militari, Imprese, Mazzo 10 d’addizione. Le document est daté de
1770.
[72] ASTO, "Cour", Materie Militari, Imprese, Mazzo 10 d’addizione, Conoissances pour faire
la guerre en Lombardie avec des Remarques Politico-militaires sur la Guerre de 1733 faites
par le Commandeur Papacin d’Antony Major General d’Infanterie, Adjutant General de l’Armée
et Directeur General des Ecoles d’artillerie et de Fortification. Turin l’an 1782.
[73] Cette technique de tir rapide surchauffait le canon en quelques minutes et il fallait
baisser la cadence. Le vent entre le calibre du canon et la munition avait pour effet
d’accroître notablement la déflagration et surchauffait rapidement les parois du fût.
Dans ces conditions, le rechargement en cartouches de papier, de parchemin ou de toile
devenait des plus dangereux compte tenu du risque d’auto-inflammation de la charge.
Le Baron de Vins, début 1793, ordonna de vernir les charges pour atténuer l’effet de
la chaleur, mais les artilleurs piémontais furent vite obligés de recharger ces pièces
de manière traditionnelle, en nettoyant l’âme avec de l’eau et du vinaigre et en passant
l’écouvillon pour éliminer tout débris incandescent demeuré à l’intérieur. La vitesse de tir,
raison d’être des canons "à la saxonne" de Salmour, redescendait alors à la cadence normale
d'un à deux coups à la minute.
[74] Toutes les innovations et les armes conçues particulièrement en vue de la guerre en
montagne, qui auraient pu se révéler des plus utiles dans un tel théâtre d'opérations,
furent toujours rejetées par le commandement sarde. Les démêlés liés au rejet du
"canon-obusier" de Buttet, ou aux armes expérimentales à "rétro-chargement" du soldat
Turina, sont pleins d'enseignements à cet égard (Voir Sterrantino, 1994, pp. 33-64, et
Sterrantino, 1995, pp. 7-21).
Je remercie particulièrement le Commandant Roberto Simoncini et le Chef de Bataillon [H - TDM/SEM] Bruno Pauvert, le Dr. Alberto Di Candia et le Pr. Roberto Sconfienza. Les thèses formulées dans cet essai leur reviennent en partie, ou sont issues de mes conversations avec eux.
Mes sincères remerciements s’adressent également à tous les officiers, sous-officiers, soldats, cantinières de la 1ère compagnie de chasseurs du Régiment d’Infanterie d’ordonnance nationale Savoie, pour les précieuses journées consacrées à "revivre" l’Histoire, en leur compagnie. Je salue enfin affectueusement le Pr. Manlio Calegari sans qui, aujourd'hui, je ne rédigerais pas d’études sur l'Histoire.
Jean Baptiste Rouzier
Jean Baptiste Rouzier est né en 1708 en Languedoc. Il était donc sujet du Roi de France.
On ne sait pas vraiment comment il arriva sur les terres du Roi de Sardaigne, ni s'il fut
soldat ailleurs auparavant. On n’est pas davantage certain si ce nom est véritablement
le sien ou s'il s'agit d'un nom de guerre [75]. En vieux français, Routier / Rouzier désigne
le mercenaire, le brigand, ou encore l'homme rusé à la longue expérience, autant de surnoms
qui correspondent bien au caractère de ce personnage.
En 1733, on retrouve Jean Baptiste au régiment d'Infanterie étrangère Desportes. Dans la
mesure où l'armée du Roi de Sardaigne combattait en Lombardie contre l'Empire Habsbourgeois
pendant la guerre de succession de Pologne, aux côtés de l'armée française, il est possible
que Rouzier ait déserté pour rejoindre une unité piémontaise. Avec le grade de Capitaine,
toujours dans ce même régiment d'Infanterie étrangère [76], il prit part à la guerre de succession
d'Autriche.
Peut-être protestant, et probablement déjà renommé pour ses talents d'organisateur,
Rouzier fut chargé du commandement d'un corps d'au moins 2.000 miliciens Vaudois sur
le front des alpes occidentales.
Pendant l'été 1742, le Capitaine Rouzier effectua de soigneuses reconnaissances dans la
vallée de la Varaita et, l'année suivante, dans le Val de Suse. Sa connaissance de ce théâtre
d'opérations s'avéra extrêmement utile en 1743 lors des combats d'octobre à Casteldelfino.
En 1744, le Capitaine Rouzier et ses Vaudois se battent de nouveau en vallée de la Varaita.
Après la défaite de Pietralunga (19 juillet 1744) l'armée de Charles Emmanuel III redescend
dans la plaine de Pignerol, mais la milice Vaudoise de Rouzier, forte de 1.200 hommes, reste
dans le secteur et s'en prend aux arrières de l'ennemi. Le Capitaine français avec sa troupe
pénètre même dans le Queyras, ravage les villages et rançonne les communautés frontalières :
du 20 au 27 juillet 1744, il ne leur extorque pas moins de 13.595 lires.
Revenu en Piémont, il est l’un des commandants de Milice chargés de frapper les lignes de
ravitaillement des français qui assiègent Coni. En coopération avec d’autres bandes de
miliciens, ses incursions ne contribuèrent pas peu à fragiliser les approvisionnements
destinés aux assiégeants de la place forte.
En 1745, il retourne dans le Val de Suse à l’occasion de ce qu’on a appelé la diversion de
Lautrec. Ensuite, pendant la phase initiale de l’offensive française de 1747, Jean-Baptiste
Rouzier et ses Vaudois servent de force de reconnaissance et d’écran de protection pour les
troupes Austro-Piémontaises qui rejoignaient le camp retranché de l’Assiette. L’une des
causes des médiocres résultats des reconnaissances ordonnées par le Chevalier de Belle-Isle
est précisément dû à l’activité des miliciens vaudois dans cette zone.
Le Capitaine Jean-Baptiste Rouzier acquit une remarquable expérience du combat en montagne.
En raison de sa profonde connaissance du front alpin il fut chargé, à la fin du conflit, de
rédiger une description des itinéraires praticables du territoire montagneux confinant au
Royaume de France, dans l’esprit de constituer un mémoire en vue d’un éventuel conflit
ultérieur. Ce document est intitulé Descripsion des passages qui se trouvent dans les
Alpes qui séparent le Piémont de la France, divise en deux traittés, dont le premier renferme
le cols par lesquels on va en France et le second contient les passages par lesquels les
vallés de Piémont communiquent entr’elles et avec la Provence et le Dauphiné, par Jean
Baptiste Rouzier, capitaine au Régiment de Monfort, 1749. [77]
Après cette date, on perd la trace de Jean-Baptiste Rouzier.
Gabriel Pictet
Gabriel Pictet naquit à Genève le 8 octobre 1708. Les Pictet étaient l’un des plus vieilles
et plus importantes de la cité. Calviniste de confession, Gabriel suivit les cours de lettres
et de philosophie auprès du collège Calvin de Genève, après lesquelles, comme nombre des
siens, il embrassa la carrière militaire.
Il entra en 1733 dans le régiment genevois de milice Pont levé, avec le grade de cadet.
Son rang social lui permit, en moins d’un an, d’obtenir le grade d’Aspirant, puis Lieutenant,
et enfin commandant de l’unité. En 1734 il rejoignit l’armée sarde, auprès de l’état-major
du Roi Charles Emmanuel III ; il participa à la bataille de Parme (29 juin 1734) avec le
grade de Lieutenant, atteint de plusieurs blessures. A la fin du conflit, il est congédié avec
le grade de Lieutenant.
Il revint dans l’armée sarde en 1742, lorsque éclata la guerre de succession d’Autriche, en
tant qu’Adjudant Major du Roi et Capitaine au régiment Saluces.
En 1761, il écrivit un traité de tactique de l’Infanterie, sur la base de son expérience de
la guerre. L’ouvrage fut publié à Genève.
Bien introduit à la cour, il fut promu en 1764 au grade de Capitaine des grenadiers du
régiment Saluces. La même année, une fois converti au catholicisme, il fut fait chevalier
dans l’ordre des Saints Maurice et Lazare. Le 10 avril 1766, il fut promu Premier Major puis,
le 12 mai 1771, nommé Lieutenant-Colonel du régiment Saluces.
L’officier genevois jouissait la sympathie du nouveau souverain, Victor Amédée III, au point
de se voir chargé, dès le 5 octobre 1774, de la mission de former la nouvelle Légion des
troupes légères, dont il exerça le commandement quinze jours plus tard, le 20, avec le grade
de Colonel.
En 1778, il était promu Brigadier Général mais, à présent âgé, il demandait au souverain à
être mis à la retraite. Le 24 novembre, Victor Amédée III accordait son congé à Gabriel
Pictet, qui se retira à Genève. Il s’y éteignit quatre ans plus tard, le 2 octobre 1782. [78]
Luigi Leonardo Colli Ricci, marquis di Felizzano
Fils de Giacomo Antonio et d’Elisabetta Beccaria, fille de Teresa Ricci - dont il ajouta
le nom au sien - de la lignée des comtes de Solbrito, le marquis Leonardo Antonio Giuseppe
Gaspare Venanzio Colli di Felizzano naquit à Alessandria le 23 mars 1757. La famille des
Colli était une vieille famille alexandrine, dont certains membres avaient fait partie du
Collège des Jurisconsultes de la ville, mais qui n’avait été anoblie que le 3 septembre 1753,
du fait de l’acquisition du fief de Felizzano auprès du marquis Evasio Sibaldi.
Luigi Leonardo fut destiné très jeune à la carrière militaire : le 10 juin 1773, à seize ans,
il fut enrôlé dans le régiment d’Infanterie d’ordonnance nationale Montferrat avec le grade
d’Aspirant. L’année suivante, le 10 juin 1774, il fut nommé Second Lieutenant-Aide Major,
Lieutenant le 20 juillet 1775, et Capitaine-Lieutenant le 2 mai 1781.
La carrière dans l’armée sarde du jeune marquis, dont la noblesse était plutôt récente,
connut à ce stade un coup d’arrêt et il devint un militaire en demi-solde avec son transfert
dans l’Infanterie provinciale : de fait, il fut le 8 mai 1782 "promu" Capitaine au régiment
d'Infanterie provinciale Pignerol. Quatre ans plus tard, à la suite des réformes de 1786,
il fut muté au régiment Acqui, toujours avec le grade de Capitaine.
En tant qu'Officier de l'Infanterie provinciale, sa carrière n'aurait sans doute pas progressé
beaucoup, jusqu'à la l'âge de la retraite, si la guerre des Alpes n'avait pas éclaté, en
septembre 1792.
Affecté sur le front de l'Authion, Colli Ricci se révéla être l'un des meilleurs officiers
subalternes de l'armée Sarde. Promu Premier Major au régiment d'Infanterie provinciale Mondovi
le 13 mars 1793, il en exerça le commandement tactique de fait à Lantosque, le 6 avril 1793,
où il repoussa une attaque française.
Après avoir longtemps opéré avec les troupes du 1er bataillon de chasseurs, Colli Ricci
couvrit avec adresse le repli piémontais à la suite de la perte des points stratégiques
de la Tanarda et du Tanarello, en empruntant les cols de Raus et de Fenestre. Il fut pour
ces actions décoré de la Croix des Saints Maurice et Lazare, le 6 avril 1794. Quatre jours
plus tard, il recevait le commandement du 2ème bataillon de chasseurs, l'une des formations
les plus efficaces de l'armée sarde. A la tête de ce corps, il se distingua notamment à
la prise du col de la Spinarda, le 27 juin 1795, et fut cité dans son rapport par le
Commandant des troupes piémontaises, le Lieutenant Général Colli-Marchini. Le 2 mars 1795,
il fut promu Lieutenant-Colonel.
A la tête de ses chasseurs, il combattit pendant la seconde bataille de Loano (22-27 novembre
1795), à la défense des redoutes du col de San Bernardo près de Garessio, et de la Spinarda.
Au cours de la retraite sur Ceva, il fut grièvement blessé le 30 novembre à Ronchini. Le 5
décembre 1795, il était promu au grade de Colonel et, le 20 mars 1796, recevait le
commandement du Régiment de chasseurs.
A la fin des hostilités, Colli Ricci fit partie des négociateurs de la paix de Leoben
(18 avril 1797), à la suite de quoi le nouveau Roi de Sardaigne Charles Emmanuel IV le
plaça à la tête de l'état-major de la Division auxiliaire destinée à intervenir sur le
front lombardo-vénète aux côtés de l'armée française.
Muté à la place forte d'Alessandria, il prit part aux combats au sein des forces de la
République Ligure en commandant les troupes légères, expulsant l'ennemi de Carrosio
(9 juin 1798). Le 7 décembre 1798, tandis que les français occupaient la citadelle de
Turin, cantonné au parc du Valentino avec les compagnies régimentaires de chasseurs, il
demanda en vain l'autorisation de monter à l'assaut des fortifications.
Connu et apprécié des chefs français, il lui fut accordé de demeurer dans l'armée sarde,
désormais intégrée dans l'armée française, avec le grade d'Adjudant Général. Son oncle,
Vittorio Alfieri, critiqua vivement ce choix et l'invita à se libérer du lien qu'il avait
contracté avec des esclaves parlant de liberté.
L'année suivante, le 5 mai 1799, il était nommé Général de Brigade, suivant Joubert et
Moreau au sein de la nouvelle Armée d'Italie. Il se distingua à la bataille de Bassignana
(12 mai), à la première bataille de Marengo (16-20 mai), et à Novi le 15 août. Commandant
de la retraite de Novi vers Pasturana, il fut blessé et fait prisonnier par les autrichiens,
qui l'internèrent d'abord à Graz, puis en Hongrie. L'amitié personnelle de Moreau, de Deselles,
de Grouchy et de Grenier lui valut d'être échangé, et il reprit le service le 18 décembre
1800 au sein de la Division Loison.
A nouveau au combat, il se signala en 1801 à Salionze, sur le Mincio.
Chef d'état-major de la 27ème division militaire (administration du Piémont),
il sut mettre fin à une insurrection militaire à Turin. C'est pour cette raison que
Napoléon Bonaparte, Premier Consul, l'appela à Paris où, le 14 septembre 1802, il fut promu
Général de Division et nommé à la tête de la 23ème division militaire (Corse) ; il se vit
attribuer une récompense de 300.00 francs en terres nationales.
Ses liens d'amitié avec Moreau l'obligèrent à s'éloigner du service actif, et il se retira
officiellement le 31 mars 1806. Il s'éteignit le 31 mars 1809 à Alessandria.
Il s'agit sans aucun doute de l'un des plus adroits et courageux soldats piémontais du
XVIIIème siècle. Une des casernes d'Asti porte son nom, qui est gravé sur la face sud de
l'Arc de Triomphe à Paris.
[75] Dans les sources piémontaises, son nom est du reste souvent retranscrit en De Roussier,
Rousier, Rozeir, Rosier…
[76] Ce régiment fut renommé Audibert le 10 mars 1739, et prit ensuite le nom de Montfort
le 6 avril 1746 ; Voir note n° 38.
[77] ASTO, "Cour", Carte dell’Archivio Segreto, 7 F I ; Gasca Queirazza, 2000, pp. 153-172.
[78] A propos de Gabriel Pictet, voir Novello, 1991, pp. 105-112.
ARCHIVES D’ETAT DE TURIN (ASTO)
COUR
SECTIONS REUNIES
BIBLIOTHEQUE ROYALE DE TURIN (BRT)
DOCUMENTS EDITES
AMATO-DUBOIN 1863 : Raccolta per ordine di Materie delle Leggi cioè Editti, Patenti, manifesti,
Ecc. emanate negli stati di terraferma sino all’8 dicembre 1798 dai Sovrani della Real Casa
di Savoia dai loro Ministri, Magistrati, Ecc. compilata dagli Avvocati Felice Amato e Camillo
Duboin proseguita dall’Avvocato Alessandro Muzio colla direzione dell’intendente Giacinto
Cottin. Tomo Ventesimosesto, Volume Ventesimo ottavo. Torino 1863.
AMATO-DUBOIN 1865 : Raccolta per ordine di Materie delle Leggi cioè Editti, Patenti,
manifesti, Ecc. emanate negli stati di terraferma sino all’8 dicembre 1798 dai Sovrani
della Real Casa di Savoia dai loro Ministri, Magistrati, Ecc. compilata dagli Avvocati Felice
Amato e Camillo Duboin proseguita dall’Avvocato Alessandro Muzio colla direzione
dell’intendente Giacinto Cottin. Tomo Ventisettesimo, Volume Ventesimonono. Torino 1865.
ETUDES